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Servitudes et droits de propriété

Servitudes et droits de propriété

Publié le : 07/02/2024 07 février févr. 02 2024

Pour notre second article, nous voulons partager avec vous, cette semaine, une décision de justice intéressante :

Les faits sont les suivants :
M X, a fait l’acquisition d’une jolie maison située dans notre belle région, avec une « petite » limitation dans l’exercice de son droit de propriété puisqu’il n’avait pas le droit de surélever la construction de plus d’un mètre (servitude non altius tollendi)

C’est pourtant ce qu’il a fait, mais avec l’accord, du moins le croyait-il, du voisin.

M X a surélevé sa maison de très exactement 1,56 mètre, soit 56 centimètres de trop !!

Il pensait avoir l’accord de son voisin car des discussions étaient intervenues entre eux AVANT la construction mais aucun document signé n’attestait de cet accord…

Curieusement, le voisin a attendu quasiment 10 ans, avant d’introduire une procédure en violation de la servitude et demander la démolition de toute la partie surélevée.

Deux questions ont été posées au tribunal :

-Un renoncement à une servitude peut-il être tacite et notamment résulter de l’écoulement du temps ?
- Si une violation de la servitude était constatée, la sanction de la démolition était-elle proportionnée à l’atteinte (56 cm de trop ?)

Qu’est ce qu’une servitude non altius tollendi?

Le Code civil définit les servitudes de la sorte :

« Une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l'usage et l'utilité d'un héritage appartenant à un autre propriétaire. »

Une servitude non altius tollendi est une servitude instaurant une interdiction ou limite au propriétaire du fond « servant » (c’est-à-dire qui subit la servitude) de construire ou surélever le bien au-delà d’une certaine hauteur.

C’est en définitive, un droit à la vue ou à une certaine luminosité voire, des deux, au bénéfice du propriétaire du fonds dominant (c’est-à-dire celui bénéficie de la servitude).

Ici donc il était interdit de surélever les constructions existantes de plus d’un mètre.

Est-il possible de renoncer à une telle servitude  (reconnue officiellement)?

En principe, juridiquement, il est possible de renoncer à une servitude mais cette renonciation doit être non équivoque.

Autrement dit, le doute quant à la renonciation n’est pas permis.

Sur les formes de cette renonciation, elle peut être expresse ou tacite, être actée dans un acte authentique ou non.

En l’espèce, des discussions entre les voisins étaient intervenues, un accord de principe avait été acté mais certaines conditions n’apparaissaient pas comme pleinement remplies (notamment obturation de fenêtres posée comme contrepartie à l’accord du voisin).

Nous avons toutefois soutenu que l’écoulement du temps (près de 10 ans) entre la surélévation et l’action en justice (juste avant la fin du délai d’action) démontrait nécessairement le renoncement à cette servitude car le voisin (domicilié sur place) ne pouvait ignorer l’existence de la construction.

Le tribunal a rejeté notre argumentation considérant que le silence gardé pendant près de 10 ans ne permettait pas d’établir la volonté SANS EQUIVOQUE (du fait de multiples interprétations possibles) du voisin de renoncer à la servitude non altius tollendi.

Dès lors la question de la sanction se posait :
A défaut de renonciation non équivoque à la servitude par le propriétaire du fonds dominant, la sanction en droit français est, naturellement, et systématiquement la démolition.

En effet, toute construction qui empièterait sur une servitude quelle qu’elle soit est une atteinte au droit de propriété du propriétaire du fonds dominant.

Toutefois ici, le tribunal a refusé d’ordonner la démolition en considérant comme nous le soulevions, qu’il y avait une disproportion importante entre l’atteinte (56 cm) et la sanction souhaitée : démolition de la construction.

La sanction de la démolition doit elle s’apprécier en fonction de l’atteinte ?

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme a conduit à atténuer le principe de la démolition en matière d’atteinte au droit de propriété, sous l’égide du contrôle de proportionnalité.

Sous l’influence de la Cour, les juridictions effectuent désormais un contrôle de proportionnalité, impliquant de procéder, lorsque deux droits fondamentaux sont confrontés l’un à l’autre, à un contrôle entre les intérêts en présence et l’atteinte aux droits fondamentaux de chacune des parties.

Pour revenir à notre affaire, nous avons fait valoir que la demande de démolition était totalement disproportionnée au regard notamment de l’absence de préjudice à savoir, l’absence de perte de vue et d’ensoleillement mais également au regard du fait que le dépassement était infime.

Le magistrat a donc effectué une « balance » des intérêts en présence et a considéré que la demande de démolition devait être rejetée car elle représentait une atteinte disproportionnée tant au droit de propriété qu’au droit au respect du domicile.

Il, a néanmoins considéré que la violation de la servitude était génératrice d’un préjudice réparable par l’octroi de dommages-intérêts, requalifiant au passage ce dernier en préjudice financier (statuant au demeurant ultra petita, mais il s’agit d’une autre histoire…)


Cette décision est intéressante car elle confirme l’imprégnation du principe du contrôle de proportionnalité dans notre ordre juridique interne. Elle s’inscrit dans un courant jurisprudentiel dont on peut citer quelques exemples :

 
  • Cass. Civ., 3ème, 19 décembre 2019, n°18-25.113 : « qu'il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que les intéressés ont bénéficié d'un examen de la proportionnalité de l'ingérence conforme aux exigences de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en confirmant la décision des premiers juges et en ordonnant la démolition du domicile de Mme L... et de M. H... P.…, sans rechercher, comme il le lui était demandé (cf. prod. n°8 p. 15), si les mesures ordonnées étaient proportionnées au regard du droit au respect de leur domicile et si l'atteinte ne pouvait pas être évitée par le déplacement de la servitude sur la façade Est du fonds servant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des stipulations de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales »
 
  • Cass. Civ 3ème ch.,13 juillet 2022 n° 21-16.407 : « Ayant retenu qu'il était totalement disproportionné de demander la démolition d'un immeuble d'habitation collective dans l'unique but d'éviter aux propriétaires d'une villa le désagrément de ce voisinage, alors que l'immeuble avait été construit dans l'esprit du règlement du lotissement et n'occasionnait aucune perte de vue ni aucun vis-à-vis, la cour d'appel, qui a fait ressortir l'existence d'une disproportion manifeste entre le coût de la démolition pour le débiteur et son intérêt pour les créanciers, a pu déduire, de ces seuls motifs, que la demande d'exécution en nature devait être rejetée »
 
  • Ou encore : Cass. Civ., 3e, 23 novembre 2022, N°22-14.720 : « elle a pu, procédant comme il lui incombait à un contrôle concret de proportionnalité entre la mesure de démolition ordonnée et la gravité du droit réel transgressé, retenir que cette sanction ne présentait pas un caractère disproportionné au sens de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales »

En conclusion, en cas de conflit entre  ces deux droits fondamentaux, le juge, sous l’égide de la jurisprudence européenne, peut (doit) apprécier les intérêts en présence et non plus seulement prononcer « automatiquement » la démolition, qui était jusqu’à présent la sanction naturelle de l’atteinte au droit de propriété.
Cela ne signifie bien évidemment pas que l’on peut impunément violer une servitude puisque l’enseignement à tirer de ce jugement est que la violation entraine nécessairement un préjudice et donc une réparation, qu’elle soit en nature ou financière (si tant est qu’elle soit demandée), selon la gravité de l’atteinte.

 

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